Algérie

Que cache le chaos dans la diplomatie algérienne ?

Au cours des deux derniers mois, le régime algérien dirigé par le duo Abdelmadjid Tebboune / Saïd Chengriha, respectivement président de la République et chef d’état-major, a jeté les bases d’un changement radical de ses objectifs stratégiques et géopolitiques internationaux, et, par conséquent, de l’instrument étatique essentiel pour les atteindre : la diplomatie.

Tout au long de son histoire mouvementée, tant interne qu’externe depuis l’indépendance du pays en 1962 après sept années de guerre de guérilla contre l’armée coloniale française, l’Algérie a souvent changé son analyse et son traitement des grandes questions de la politique internationale ainsi que de ses relations avec les grandes puissances qui dominent la scène mondiale.

Les relations entre l’Algérie et la France, en premier lieu, mais aussi avec les États-Unis, la Grande-Bretagne, la Russie, la Chine ou l’Union européenne, ont connu des hauts et des bas, des rapprochements et des ruptures, des mains tendues et des dénonciations intransigeantes. Alger justifiait toujours cela comme étant une manière de défendre ses intérêts nationaux, ses principes et sa philosophie révolutionnaire et libératrice, ce qui, si tel est le cas, est légitime.

Il n’y a eu qu’un seul sujet sur lequel l’Algérie est restée invariable tout au long de ces six longues décennies : la Palestine, et par conséquent Israël. Tous les présidents algériens, d’Ahmed Ben Bella à Abdelmadjid Tebboune, en passant par Houari Boumédiène, Chadli Bendjedid, Mohamed Boudiaf, Ali Haroun, Liamine Zéroual et Abdelaziz Bouteflika, ont proclamé leur soutien inconditionnel au peuple palestinien et leur condamnation sans appel de « l’entité sioniste » usurpatrice des terres palestiniennes. L’Algérie n’a jamais reconnu l’existence d’un État appelé Israël, pourtant officiellement admis par l’ONU.

Pour les dirigeants de l’Algérie indépendante, l’ennemi occupant et usurpateur de la Palestine était une « entité », un groupe de sionistes associés et soutenus par « l’impérialisme occidental », qu’il fallait combattre les armes à la main. Les relations avec Paris, Washington, Moscou, Pékin, Bruxelles ou Londres pouvaient être modulées ; avec Israël, jamais.

Contre toute attente, début février 2025, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a accordé une interview au journal français L’Opinion, propriété des milliardaires Arnault, Bettencourt et Murdoch. Et il y a lâché cette phrase fatidique, résumée ainsi : si Israël reconnaît l’État palestinien, l’Algérie reconnaîtra l’État d’Israël. Il n’était plus question du Front du Refus, ni de lutte armée palestinienne, ni de condamnation sans nuances de l’entité sioniste. Tebboune laissait entendre que l’Algérie accepterait implicitement les objectifs défendus par Shimon Peres ou son rival Yitzhak Rabin, qui avaient signé les Accords d’Oslo avec l’OLP de Yasser Arafat, ouvrant ainsi la voie à la reconnaissance d’un futur État palestinien.

Pourquoi le régime Tebboune-Chengriha a-t-il changé de « principes » sur la question palestinienne ? Qu’attend Alger comme bénéfice en échange de ce séisme politico-diplomatique ?

L’objectif du régime algérien est de se présenter comme un « allié fiable » aux yeux des États-Unis de Donald Trump. Bénéficier du soutien, de l’indulgence ou du feu vert des États-Unis est, pour ce régime, la garantie de sa survie.

Les analystes et stratèges qui conseillent le Pouvoir algérien l’ont convaincu que le seul danger réel pour le système pourrait venir de Washington.

Le Pouvoir occulte implanté à Alger a été capable de surmonter toutes les crises internes, les guerres de clans, les crises politiques provoquées par la mort — parfois l’assassinat — de ses leaders ; ainsi que les effets économiques et financiers des crises mondiales ; et même la mobilisation massive de millions d’Algériens dans ce qu’on a appelé le Hirak, qui a duré plus de deux ans, de février 2019 à mai 2021.

Le Pouvoir occulte a surmonté toutes les crises, en les manipulant, en les réprimant, en les utilisant pour procéder à des purges internes. L’Algérie est le pays au monde qui détient le plus grand nombre d’opposants, de journalistes et de militants démocrates en prison par rapport à sa population ; mais aussi le plus d’anciens chefs de gouvernement, ministres, hauts fonctionnaires, hommes d’affaires et généraux incarcérés.

La seule crainte du régime Tebboune/Chengriha est que les États-Unis décident de démanteler le système, en soutenant une « révolution de couleur », comme cela s’est produit dans les pays de l’ex-Yougoslavie, en Serbie, en Géorgie, en Ukraine, au Kirghizistan, ou encore lors des « printemps arabes » qui ont renversé les régimes de Zine el-Abidine Ben Ali en Tunisie, Mouammar Kadhafi en Libye, Hosni Moubarak en Égypte ou, plus récemment, menacé Bachar el-Assad en Syrie.

C’est pourquoi le duo Tebboune/Chengriha se précipite pour offrir à Donald Trump des « terres rares » dont l’existence n’a pourtant jamais été constatée, lui faire des promesses d’achat d’armes, lui permettre d’exploiter les richesses du pays, d’ouvrir la porte aux multinationales de l’agriculture, et pourquoi pas, d’installer quelque base secrète de renseignement militaire dans le profond désert algérien pour surveiller le Sahel, ou d’utiliser ses ports comme points d’accostage, de réparation et d’entretien pour les flottes américaines ou de l’OTAN.

Alger a constaté que l’offre faite par le Maroc à Donald Trump de soutenir les Accords d’Abraham lui a été bénéfique, avec en retour l’engagement des États-Unis de reconnaître la souveraineté marocaine sur le Sahara et de renforcer leur alliance militaire stratégique avec Rabat. L’Algérie souhaite faire de même. Se proposer de reconnaître Israël sous certaines conditions, et s’ouvrir à une alliance militaire avec les États-Unis, pourrait offrir au Pouvoir Tebboune/Chengriha le soutien international dont il a cruellement besoin, surtout en cette période où ses relations avec la France, l’Union européenne, l’Espagne et ses voisins du Maghreb sont au plus bas.

L’Histoire se répète.

Il y a un peu plus de dix ans, alors que se profilait le quatrième mandat d’Abdelaziz Bouteflika, déjà malade et en fauteuil roulant, Alger tenta une opération de séduction envers les États-Unis. En 2013, dans le sillage du Printemps arabe, les États-Unis souhaitaient s’impliquer davantage dans la région méditerranéenne et nord-africaine pour devenir un pilier de la lutte contre le terrorisme. À cette époque, le président Barack Obama cherchait à reconfigurer la carte du monde arabe.

Un mois après avoir été réélu pour un quatrième mandat, Abdelaziz Bouteflika parvient à établir un « partenariat privilégié » avec les États-Unis, avec lesquels il décide de participer à des exercices et manœuvres militaires et navales. Toutefois, ses liens étroits avec la Russie et la Chine l’empêchent d’accepter la proposition du Pentagone d’installer une base de renseignement militaire dans la région de Tamanrasset. Deux ans plus tard, Donald Trump remporte l’élection présidentielle, et le Pouvoir algérien tente à nouveau de séduire Washington. La présence d’une flottille de l’OTAN à Alger quelques semaines auparavant fait la une de tous les médias algériens et internationaux.

Mais dans ses relations avec Barack Obama comme avec Donald Trump, Abdelaziz Bouteflika est freiné par le Pouvoir militaire sur la question palestinienne. Le désir de légitimité de la direction algérienne repose en grande partie sur la cause palestinienne, « une question de principe » pour le régime. La Maison-Blanche, de son côté, pose comme condition le reconnaissance d’Israël, comme l’ont déjà fait l’Égypte en 1979 et la Jordanie en 1993. À cette époque, l’Algérie ne peut pas accepter cette exigence.

Mais en 2025, face à l’isolement international de l’Algérie, à sa crise avec la France et l’Espagne, et à ses relations fragiles avec la Russie et la Chine, le Pouvoir algérien ouvre la porte à un changement drastique : reconnaître Israël sous certaines conditions. Une question de survie.

Pedro Canales.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page