Régime Militaire Algérien: le Parlement français prépare une offensive diplomatique Européenne
Le 6 février 2025, une proposition de résolution européenne (n°852 corrigé, n°914-A0) a été déposée à l’Assemblée nationale française par Constance Le Grip et plusieurs membres de la commission des affaires étrangères. Bien que non contraignante, elle vise à orienter la position diplomatique de la France au sein de l’Union européenne en appelant le gouvernement français et la Commission européenne à plaider activement pour la libération immédiate et inconditionnelle de Boualem Sansal, écrivain détenu par le régime militaire algérien.
Le texte est actuellement en examen, et les amendements déposés révèlent de profondes fractures politiques. Tandis que certains prônent un dialogue amical avec le régime algérien, d’autres plaident pour une pression diplomatique mesurée, tandis que les plus fermes réclament des sanctions radicales. Cette résolution représente un tournant législatif majeur dans les relations franco-algériennes et dans la stratégie diplomatique de la France sur les dossiers migratoires et sécuritaires européens. Elle marque également une mise en lumière accrue du régime militaire algérien sur la scène internationale, ouvrant la voie à plus de sanctions des institutions européennes et des organismes internationaux sur le régime militaire d’Alger.
UN PARLEMENT DIVISÉ: QUI DÉFEND QUOI ?
Dans la proposition de résolution européenne (n°852 corrigé, n°914-A0) déposée le 6 février 2025 à l’Assemblée nationale française par Mme Constance Le Grip, un texte non contraignant mais destiné à influencer la position diplomatique de la France au sein de l’Union européenne, en appelant le gouvernement français et la Commission européenne à plaider pour la libération immédiate et inconditionnelle de Boualem Sansal.Le 20 février 2025, les membres parlementaires de LFI-NFP ont déposé des amendements vidant la résolution de toute mesure concrète, la réduisant à des déclarations d’intention sans portée tangible. Parmi ces députés, 5 sont d’origine algérienne: Mme Anaïs Belouassa-Cherifi, M. Idir Boumertit, Mme Zahia Hamdane, M. Abdelkader Lahmar, Mme Sophia Chikirou.
Selon eux, l’emprisonnement de Boualem Sansal aurait été instrumentalisé par l’extrême droite et le gouvernement français pour alimenter les tensions diplomatiques entre la France et l’Algérie et renforcer un discours xénophobe. Ils ont également condamné ce qu’ils qualifient d’« agressivité et d’escalade irresponsables vis-à-vis de l’Algérie », reprochant aux responsables politiques français d’attiser inutilement les tensions bilatérales.
Les députés LFI-NFP ont dénoncé la mobilisation en faveur de Boualem Sansal, affirmant qu’elle ne serait pas motivée par une défense sincère des droits humains ou de la liberté d’expression en Algérie, mais qu’elle s’inscrirait dans une manœuvre politique orchestrée par le gouvernement français pour accroître les tensions avec Alger et stigmatiser les Algériens, les binationaux et les Français d’origine algérienne.
En parallèle, ils ont défendu le maintien du financement européen en Algérie, arguant que les projets financés par l’UE bénéficient directement aux populations locales et créent les conditions nécessaires à des progrès en matière d’État de droit et de libertés fondamentales. Selon eux, conditionner ces financements à des critères politiques reviendrait à exiger dès le départ que ces actions remplissent des objectifs censés être atteints à long terme. L’Union européenne, dans le cadre de sa Politique européenne de voisinage, finance divers programmes en Algérie via un Plan Indicatif Multiannuel (PIM) de plusieurs dizaines de millions d’euros pour la période 2021-2027, structuré autour de trois priorités : La transition énergétique et l’action climatique ; La gouvernance économique et le développement local ; La croissance durable et inclusive, incluant les emplois verts et numériques.
Dans un autre amendement, les députés LFI-NFP ont justifié la suppression de l’alinéa 36, qui conditionne la renégociation de l’accord d’association UE-Algérie à la libération de Boualem Sansal, en invoquant la situation à Gaza : « Quinze mois de guerre génocidaire à Gaza n’auront pas suffi à convaincre les auteurs de cette proposition que le non-respect quotidien et manifeste du droit international par Israël mériterait lui aussi une remise en cause de l’accord entre l’UE et cet État. »
Enfin, ils ont proposé la suppression de l’appel demandant au Gouvernement français et à la Commission européenne de subordonner tout futur versement de fonds européens à l’Algérie à des progrès substantiels en matière d’État de droit et de libertés fondamentales, considérant qu’une telle conditionnalité serait une approche biaisée et injustifiée dans le cadre de la coopération bilatérale.
De leur côté, la droite républicaine à travers Xavier Breton, propose que le Gouvernement français et la Commission européenne nomment Boualem Sansal au rang d’ambassadeur. Au-delà de sa portée symbolique, cette nomination lui permettrait de bénéficier des protections offertes par le statut diplomatique. Par ailleurs, ils appellent également le Gouvernement français à dénoncer l’échange de lettres de 2007 entre Bernard Kouchner et Mourad Medelci, ainsi que l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968, estimant qu’une telle remise en question est nécessaire dans le contexte actuel.
Dans une enquête antérieure sur les privilèges des passeports diplomatiques algériens et leurs bénéficiaires (voir notre rapport ici), nous avons documenté que l’Algérie dispose de 25 accords bilatéraux exemptant son élite dirigeante de l’obligation de visa (liste complète disponible ici). Ces exemptions, accordées via des passeports diplomatiques, comprennent des accords avec sept pays de l’espace Schengen : le Portugal, l’Espagne, la France, la Pologne, la Suisse, le Liechtenstein, la Bulgarie et la Finlande. Ainsi, même si la France décidait unilatéralement d’annuler son accord bilatéral de 2007 sur les passeports diplomatiques avec l’Algérie, les hauts responsables militaires et les membres du régime pourraient toujours contourner ces restrictions en transitant par ces États Schengen.
Conscient de cette faille juridique, Paris prépare actuellement une liste restreinte de 112 figures du régime algérien interdites d’entrée sur le territoire et coordonne activement une réponse à l’échelle de l’Union européenne. Étant donné que Boualem Sansal est citoyen d’un État membre de l’UE, les instruments législatifs pertinents relatifs à la protection des citoyens de l’Union à l’étranger seront activés, déployant ainsi l’ensemble des leviers diplomatiques dont dispose la France dans le cadre des conventions internationales et des mécanismes européens applicables.
Les députés du Rassemblement National souhaitent suspendre les financements européens et français destinés à l’Algérie, estimant que le Programme indicatif pluriannuel Union Européenne – Algérie a permis à cet État de percevoir 172 millions d’euros entre 2021 et 2024, tandis que 26,5 millions d’euros supplémentaires sont engagés via un projet porté par Expertise France. En parallèle, l’Agence Française de Développement (AFD) reste active en Algérie à travers plusieurs programmes répertoriés comme « en cours » sur son site officiel. Parmi les financements concernés figurent notamment 700 000 euros pour le projet « Jeunesses et pouvoir d’agir » (JPA – Algérie/Tunisie), visant l’insertion sociale des jeunes, 9 millions d’euros répartis sur neuf pays, dont l’Algérie, pour la diffusion de programmes pilotes et d’expertises en réduction des risques, droits et santé sexuels et reproductifs, ainsi que 850 000 euros destinés à soutenir directement les défenseurs des droits humains les plus vulnérables, y compris en Algérie. Considérant ces éléments, l’amendement propose de bloquer ces flux financiers afin de conditionner toute future aide au respect des engagements internationaux de l’Algérie.
Dans cette logique, les députés du Rassemblement National insistent également sur la nécessité pour la France et les institutions européennes d’exiger d’Alger le respect de ses obligations en matière de réadmission de ses ressortissants, afin de garantir l’application du droit international et la sécurité des citoyens français, en conformité avec les accords d’association signés en 2005 entre l’Union européenne et l’Algérie. En complément, l’amendement propose une mesure de rétorsion immédiate et concrète : la suspension de la délivrance de visas pour les ressortissants algériens tant que Boualem Sansal ne sera pas libéré. Les auteurs estiment qu’une telle décision enverrait un signal fort au régime algérien, démontrant que la répression des voix dissidentes entraîne des conséquences diplomatiques et administratives directes. Ils appellent ainsi le Gouvernement français et la Commission européenne à cesser toute délivrance de visas aux Algériens souhaitant se rendre dans l’UE tant que perdurera la répression des critiques du régime, affirmant que cette pression est nécessaire pour inciter Alger à respecter les libertés fondamentales et mettre un terme aux persécutions politiques.
La commission des affaires étrangères devrait poursuivre les discussions sur la résolution et ses amendements dans les semaines à venir. Si elle est adoptée, cette mesure pourrait aggraver davantage les relations franco-algériennes et mettre à l’épreuve la volonté de l’Union européenne d’imposer une pression collective au régime militaire d’Alger dirigé à sa tête par Saïd Chengriha.
Abderrahmane Fares ✍️