L’Existentialisme du Néant dans le poème « T’oublies Comme Si Tu N’étais Jamais » du poète Mahmoud Darwich

Étude critique / Ali Tlemsani

Je ne suis pas entièrement satisfait de ce qui a été écrit à propos de ce texte, extrait par le poète Mahmoud Darwich du profond de son âme imprégnée de disparition et de néant existentiel. Il l’a embrassé en quête d’espoir et de rédemption après un voyage à travers le chaos des sens et des blessures. Je ne suis pas satisfait, car ce texte renvoie la terre stérile, dans une quête baudelairienne, en quête d’un salut interdit, profondément enraciné dans le désespoir et le nihilisme poétique, qui ne peut être trouvé dans le sens mais dans la musique du poème. Le jeu terne de l’âme du poète, qui a perdu la vibration et l’émotion portées dans son poème dont l’incipit est « Il y a dans la terre ce qui mérite la vie », se trouve ici dans une mélodie froide que l’on aperçoit sous une éternité de mort et de grisaille.

J’ai dit que je ne suis pas satisfait de ce qui a été écrit à propos de ce texte, car beaucoup de lectures ne sont pas allées au fond du mot, du jeu et du sens, en tournant autour d’une idée d’existence qui déploie une profonde mélancolie, celle dont parle Sartre. Le poète vit sa vie avec une idée conceptuelle selon laquelle il se transformera en patrimoine humain, réalisant en lui-même la douleur et une souffrance intense par une contemplation nue de la tragédie que l’excès de sentiment amène à une vie unique, fermée, celle du nihilisme envahissant dans sa répétition bruyante à chaque époque.

Et le poème commence avec deux significations simples qui ressemblent à l’introduction de la Symphonie du Destin de Beethoven : « T’oublies comme si tu n’étais jamais ». Après son voyage, le poète fait face au destin tragique de naviguer dans un monde d’oubli, se dissipant de la collectivité dans laquelle il a vécu des années, s’y réfugiant, recherchant la beauté et l’art pour trouver une conviction spirituelle plus profonde que la conviction rationnelle de la validité de la souffrance humaine en vivant l’autre. Et ici, l’absurdité se révèle, non après la mort, mais une absurdité plus profonde qui existait déjà avant.

Ainsi, le poète résume toute l’expérience en rapportant deux vérités : la première est son passage vers la disparition finale. Cette disparition était déjà présente avant, et ici la lettre « Kaf » de la comparaison soulève la vision. Même Mahmoud Darwich n’a pas évité les pièges de la poésie arabe.

Les métaphores se succèdent, soutenues par la capacité de l’image poétique qui rapproche l’existence vivante de l’homme à celle d’autres formes d’existence telles que : « la mort de l’oiseau », « l’église abandonnée », « l’amour éphémère », « la rose dans le vent et la neige ». La première partie se termine, puis commence :

« Je suis pour la route – Il y a celui dont les pas ont précédé les miens – Celui qui a imposé sa vision sur la mienne – Celui qui a semé les mots spontanément – Pour raconter l’histoire – Ou éclairer ceux qui viendront après lui – Une trace chantée et un carrefour. »

Ici, le nihilisme passe du destin du poète à un destin continu de l’homme, qui transmet son expérience douloureuse aux autres, et l’intensité de cette expérience nihiliste devient une série allant du passé à l’avenir. Le mot devient la seule fausse immortalité que le poète exprime par : « Les mots me conduisent, et je les conduis – Je suis leur forme – Et elle est la manifestation libre ». L’écriture est la manifestation et le poète n’est que la forme. Ici se révèle la profondeur de l’expérience : l’écriture n’est pas un salut, mais un moyen d’exploiter l’être du poète pour réaliser sa propre existence, laissant l’âme du poète comme une forme dramatique perforée sur le bord d’un chemin pavé de douleur.

Le poète intensifie la description de sa découverte du nihilisme en utilisant des techniques poétiques. Il dit : « Je suis le roi de l’écho, je n’ai pour trône que les marges ». Le Sisyphe de la douleur se renforce dans le Sisyphe du rien. Le roi de l’écho dispersé dans l’étendue et le trône dans les marges sont des réintroductions du sens de l’oubli inévitable.

Dans sa tentative de transcender le sentiment d’être voué à l’extinction, le poète crée un joli sens, une perturbation du temps dans l’expérience de l’existence en disant : « Il y a celui dont les pas ont précédé les miens – Et celui qui me précédera dans ma vision », une tentative de regarder au-delà en cherchant à échapper à un destin où le passé et l’avenir se confondent dans un présent imprégné de parfums noirs du non-être imposé.

Le poète poursuit, changeant les instruments de sa mélodie pour exprimer son appartenance à l’errance, à un mouvement qui se termine dans le néant en disant : « Je suis pour la route, car toute la vie et sa grandeur appartiennent à la route, symbole du mouvement et de l’errance loin des lieux de paix et de miséricorde. »

Nous aurions souhaité que le poète continue ses explorations dans l’exil et le nihilisme, laissant le lecteur trouver sa propre conclusion, mais le poète se fige à un moment de faiblesse poétique, un moment habituel où une expérience qui a commencé avec une grande profondeur et une transition soudaine échoue à maintenir l’intensité du texte initial. Et en franchissant l’inévitable et l’absurde vers l’espoir et la promesse, qu’il voit comme une farce, il dit pourtant :

« Il y a celui qui dira de la poésie après moi,
Libéré de mon destin brisé. »

Le poète, après avoir franchi l’abîme nihiliste, fait éclater le texte avec une rédemption, symbolisée par le retour de l’existence de lui-même dans un futur proche : « Il dira un poème chantant les jardins de l’exil devant la maison ». Voilà, le poète sourit amèrement et violemment au futur qui redonne la vie, la beauté et l’espoir en chantant les jardins, et ajoute : « Libéré de mon destin brisé ». Il libère l’avenir du poids de ce destin brisé par la connaissance et la confrontation tragique.

« Libéré de mon destin brisé,
Libéré de l’adoration du passé,
De mon paradis terrestre,
Libéré de mes métaphores et de mes vers,
Je témoigne que je suis libre et vivant quand j’oublie. »

Ici, l’âme du poète se brise, le texte est réduit, se jetant dans l’intensité de sa douleur existentielle héroïque vers l’expérience des romantiques, où la vérité est fabriquée et la vision tuée par une idée futilité. Le poète se libère ainsi du passé, du langage, et du paradis perdu vers une tonalité religieuse traduite par le mot « Je témoigne ». Et on ne sait pas à qui le poète s’adresse, car dans son inconscient il y a toujours un lecteur qui exige de lui le témoignage de sa liberté et de sa vie, dans un sens initial qui symbolisait le néant. La liberté et la vie explosent soudainement par le fait qu’il va oublier. Nous rappelons encore l’incipit : « T’oublies comme si tu n’étais jamais ».

Et nous arrivons à cristalliser l’expérience dans ce fragment : le poète, face à l’idée du néant et du nihilisme, souffre et pleure dans une spiritualité allongée à la mort et à la disparition, luttant contre l’apparition du néant, cherchant un salut depuis le début de la souffrance. Après avoir erré dans son âme et dans des confins d’expériences, encerclant son âme dans un destin tragique, il fait un mouvement (et pardonnez l’expression) un mouvement fou lorsqu’il décide que la liberté réside dans l’oubli, avec la vie. Il est libre et vivant et demande à ce que l’on témoigne de cela. Et ici jaillit l’idée du salut traditionnel venant du patrimoine chrétien, un message de victoire de la vie sur la mort et de la liberté sur l’esclavage. Nous remarquons que cela reste une positivité aléatoire, injustifiée à part la force du déclin existentiel vécu par le poète.

Enfin, nous arrivons à un sens freudien de la poésie et de l’art en général, comme un salut psychologique face à une confrontation inévitable, semblable à l’idée de catharsis dans la philosophie grecque ancienne.

Mon propos n’est pas une étude littéraire, mais simplement une lecture d’un voyage profond malgré son condensé et sa transformation en une corde de sauvetage. Nous ne pouvons pas critiquer le poète arabe en lui attribuant la même responsabilité que l’expérience de T.S. Eliot ou Baudelaire. Tous les poètes de la modernité n’ont pas été libérés de l’étroitesse du souffle poétique à l’exception de l’expérience d’Abdel Wahab Al-Bayati qui a tenté d’étirer et de suivre le texte poétique profond en sacrifiant la musicalité à laquelle notre poète Mahmoud Darwich s’accroche, celui qui se distingue dans la poésie arabe par un goût existentiel occidental drapé dans une cape arabe d’un rythme et de musicalité.

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