Le Parlement européen a adopté aujourd’hui Jeudi 23 Janvier 2025 la résolution B10-0087/2025 exigeant la libération immédiate et inconditionnelle de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, le journaliste Abdelwakil Blamm, et le poète Tadjadit Mohamed, avec une majorité écrasante de 533 voix pour, 24 contre et 48 abstentions. Elle a été proposée par une large coalition allant du centre-droit à la gauche progressiste : le Parti populaire européen (PPE) conservateur, les Socialistes & Démocrates (S&D) de centre-gauche, les Conservateurs et réformistes européens (ECR) conservateurs-nationalistes, Renew Europe (centre libéral), et les Verts/Alliance libre européenne (Verts/ALE) progressistes.
Cette résolution fait suite à un débat parlementaire préliminaire qui s’est tenu le Mercredi 27 novembre 2024 (procédure 2024/2963(RSP)), au cours duquel les législateurs de l’UE, tous groupes politiques confondus, ont exprimé leur condamnation et inquiétude quant à la détention de M. Sansal, bien qu’ils aient divergé sur les approches à adopter pour faire pression sur l’Algérie, allant du dialogue diplomatique aux sanctions économiques.
La résolution de l’UE RC-B10-0087/2025 a été la plus largement soutenue parmi les sept résolutions préliminaires proposées, recueillant une majorité écrasante de 533 voix pour, 24 contre et 48 abstentions. Elle a obtenu le soutien de l’ensemble du spectre politique de l’UE, y compris les Verts progressistes/Alliance libre européenne, les socialistes-démocrates de centre-gauche, les libéraux-centristes, le centre-droit, les conservateurs, les conservateurs-nationalistes et les réformistes. |
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La résolution adoptée B10-0087/2025, qui a émergé comme la plus consensuelle parmi sept propositions concurrentes (0087, 0088, 0089, 0090, 0091, 0092, 0093), adopte une approche large et mesurée axée sur les droits de l’homme et les relations UE-Algérie tout en favorisant le dialogue et la coopération. Elle diffère notablement des propositions plus conflictuelles, telles que la résolution de la Platform for Europe (PfE) 0088/2025 qui réclamait des mesures punitives, notamment la restriction de la délivrance de visas aux citoyens algériens, en particulier aux responsables algériens, la suspension du financement de l’UE au titre de l’Instrument de voisinage, de développement et de coopération internationale (NDICI), et la conditionnalité de la prochaine révision 2025 du Partenariat UE-Algérie à la libération de Boualem Sansal, Abdelwakil Blamm, et Tadjadit Mohamed.
La résolution adoptée était la deuxième plus conciliante avec le régime Algérien parmi les sept propositions, contrastant fortement avec des alternatives plus punitives qui appelaient à restreindre la délivrance de visas aux citoyens algériens – en particulier aux membres du régime et fonctionnaires de l’état algérien – à suspendre le financement de l’UE dans le cadre de l’instrument de voisinage, de développement et de coopération internationale (NDICI), et à exiger la fin de l’intolérance religieuse des autorités algériennes, y compris la persécution des minorités religieuses (en particulier les chrétiens), la fermeture des églises protestantes et l’absence de reconnaissance officielle des communautés Ahmadiyya. |
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Les propositions alternatives couvraient un large éventail allant des plus sévères et conflictuelles aux plus indulgentes et conciliantes – voire permissives et complaisantes – : la résolution 0088/2025 accusait l’Algérie d’utiliser Sansal comme otage et appelait à des mesures punitives telles que la restriction de la délivrance de visas aux citoyens algériens, en particulier aux responsables algériens, la suspension du financement de l’UE au titre de l’Instrument de voisinage, de développement et de coopération internationale (NDICI), et la conditionnalité de la prochaine révision 2025 du Partenariat UE-Algérie à la libération de Boualem Sansal, Abdelwakil Blamm, et Tadjadit Mohamed. La résolution 0090/2025 (groupe ESN) et 0093/2025 (groupe ECR) étaient axées sur la liberté religieuse et les droits des minorités en Algérie et mettaient en évidence l’intolérance religieuse des autorités algériennes, avec la répression des minorités religieuses, notamment chrétiennes, et la fermeture d’églises protestantes en Algérie. Elles demandaient la reconnaissance des communautés ahmadies, la réouverture des églises fermées et la protection de la liberté religieuse. La résolution 0092/2025 (groupe PPE) et 0088/2025 (groupe PfE) insistaient sur la responsabilité financière et la conditionnalité du financement de l’UE, en particulier sur la responsabilisation concernant les fonds de l’UE détournés, mal attribués ou mal utilisés. La résolution 0089/2025 (groupe S&D) était la plus conciliante avec le régime militaire algérien, mettant l’accent sur le soutien à la société civile et les réformes démocratiques, sans mesures concrètes ni tangibles contre le régime. La résolution de consensus 0087/2025 (groupe Verts/ALE), qui s’articule sur les engagements universels internationaux, la solidarité avec la société civile algérienne, et la fin de la répression, a été adoptée à une très large majorité de 533 voix pour, 24 contre et 48 abstentions.
Le résultat final du vote reflète un large soutien transpartisan de la part du PPE, du S&D, de l’ECR, de Renew Europe et des Verts/ALE, avec une opposition provenant des groupes d’extrême droite et nationalistes, tandis que les abstentions venaient des non-inscrits, de certains représentants de l’ECR et du groupe PfE.
Bien que restant conciliante, non punitive et non contraignante, la résolution B10-0087/2025 marque une escalade significative par rapport au débat initial du Parlement en novembre 2024 procédure 2024/2963(RSP), proposant des mesures punitives concrètes contre l’Algérie.
Boualem Sansal, écrivain de 75 ans et critique du régime algérien, a été arrêté le 16 novembre 2024 pour « atteinte à la sûreté de l’État et à l’intégrité territoriale ». L’affaire est devenue un point de cristallisation dans la détérioration des relations franco-algériennes, à la suite de la reconnaissance par la France de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental en juillet 2024, et d’une guerre hybride menée par l’Algérie sur le sol français en utilisant des influenceurs sur les réseaux sociaux pour appeler à des actes terroristes et à l’assassinat de détracteurs algériens vivant à l’étranger.
Abdelwakil Blamm, journaliste et cofondateur du mouvement Barakat opposé à la candidature de l’ex-président Abdelaziz Bouteflika, a été arrêté fin décembre 2024 devant son domicile à Chéraga (Alger). Pendant plusieurs jours, son épouse est restée sans nouvelles de lui, aucune institution n’étant en mesure de confirmer le lieu de sa détention. Le 15 janvier 2025, la chambre d’accusation a refusé sa mise en liberté provisoire en attendant son procès. Les charges retenues contre lui incluent la participation à une organisation terroriste (article 87 bis du Code pénal), la diffusion de fausses nouvelles susceptibles de porter atteinte à la sécurité et à l’ordre publics (article 196 bis) ainsi que l’atteinte à l’intégrité de l’unité nationale (article 79).
Mohamed Tadjadit, né le 9 janvier 1994 à Bab El Oued, originaire du village Ihnouchene près d’Azeffoun en Kabylie, et issu d’une famille de martyrs de la révolution algérienne, a été arrêté le 16 janvier 2025 après avoir mené une campagne sur les réseaux sociaux #Manish_Radi ( je ne suis pas satisfait). Initialement placé en garde à vue au commissariat central, il a été présenté le 20 janvier 2025 au procureur de la République près le tribunal de Rouiba. Jugé en comparution immédiate, il a finalement écopé d’une peine de cinq ans de prison ferme, bien que le ministère public ait requis dix ans à son encontre.
Tandis que le Parlement européen exige la libération de Boualem Sansal, Abdelwakil Blamm et Mohamed Tadjadit, trois figures emblématiques de la liberté d’expression, il convient de rappeler que la répression en Algérie a atteint un seuil jamais égalé depuis son indépendance en 1962 : plus de 240 prisonniers d’opinion sont actuellement détenus, et des milliers de citoyens, dont d’anciens hauts responsables, des activistes, des politiques et des journalistes, sont interdits de quitter le territoire. La purge initiée par Mohamed Mediene, Chafik Mesbah, et Saïd Chengriha touche également l’armée, avec plus de 60 généraux et une centaine d’officiers incarcérés dans des prisons militaires. Les cas des journalistes Khaled Drareni et Ihsane El Kadi, successivement emprisonnés puis libérés, démontre comment le régime militaire d’Alger, utilise la justice comme un outil de chantage et d’intimidation, instrumentalisant le système judiciaire au gré des calculs politiques et diplomatiques du régime. Nous alertons aussi sur le fait que deux opposants et figures iconiques de la démocratie en Algérie sont désormais dans le viseur des services de renseignements : Karim Tabbou et Fodil Boumala.
Par Abderrahmane Fares