Comment le régime militaire d’Alger détourne l’histoire et les symboles

La semaine dernière, les médias algériens contrôlés par l’État, y compris les médias publics et privés, l’ENTV, la Radio Algérienne, Ennahar, Echorouk, TSA-Algerie et Observalgerie, ont largement couvert un exercice de formation à la lutte contre le terrorisme à l’aéroport Houari Boumediene à Alger. La simulation, menée par le Groupement des opérations spéciales de la police (GOSP), comportait une opération fictive de libération d’otages impliquant le détournement d’un avion d’Air Algérie. La couverture médiatique a été particulièrement enthousiaste, soulignant les capacités des forces de sécurité.

Large couverture médiatique d’un exercice de simulation de sauvetage d’otages à l’aéroport Houari Boumediene d’Alger, exactement jour pour jour 30 ans après le raid du GIGN sur l’Air France détourné à Alger.

Bien que de tels exercices soient en effet cruciaux pour maintenir la préparation antiterroriste et améliorer la coordination entre les unités de sécurité, la couverture médiatique orchestrée soulève des questions sur son objectif sous-jacent. Le timing de l’exercice (24 décembre 2024) est particulièrement remarquable, car il coïncide exactement avec le 30e anniversaire de la crise des otages du vol Air France 8969, lorsque les forces spéciales du GIGN français ont réussi à prendre d’assaut un avion détourné à Marseille le 24 décembre 1994.

Similitude frappante : (Gauche) Reconstitution théâtrale du GOSP à Alger en 2024, 30 ans après l’opération réelle du GIGN à Marseille en 1994 (Droite).

Pour ajouter l’insulte à l’injure, pendant que le régime algérien se livre à ce spectacle sur son territoire, il publie simultanément des articles révisionnistes sur Algérie Patriotique, site propagandiste répertoriée par l’observatoire des médias Conspiracy Watch comme une plateforme de conspiration et de désinformation. Ce site web, créé par Khaled Nezzar, inculpé pour crimes de guerre par le Bureau du Procureur fédéral suisse et géré par son fils Lotfi Nezzar (lui-même condamné par les tribunaux algériens), sert de principal organe de propagande conspirationniste du régime. Le régime utilise ce canal pour déformer les faits historiques : « Que faisait Ferhat dans l’avion détourné par la DGSE à Alger il y a trente ans ? » Cet article révisionniste prétend audacieusement que le détournement d’Air France de 1994 était orchestré par les services de renseignement français (la DGSE) comme une opération sous fausse bannière, plutôt que l’acte de terrorisme bien documenté perpétré par des membres du GIA (Groupe Islamique Armé).
L’article va plus loin en suggérant que le détournement était d’une certaine manière lié à la présence de Ferhat Mehenni, un chanteur kabyle et dissident politique, fondateur du Mouvement d’Autodétermination de la Kabylie (MAK), à bord de l’avion. Il spécule de façon extravagante que la survie de Mehenni était la preuve d’une conspiration, insinuant même que l’événement avait été mis en scène pour servir des objectifs anti-algériens. Ces accusations conspirationnistes et sans fondement cherchent à réécrire l’histoire, à discréditer des faits bien documentés, et à détourner la responsabilité du GIA, une organisation qui a émergé pendant la « Décennie noire » de l’Algérie et qui était responsable d’innombrables atrocités contre les civils, elle-même connue pour avoir été une entité sous fausse bannière contrôlée par le DRS.

Capture d’écran d’Algérie Patriotique (25 décembre 2024) : ‘Que faisait Ferhat dans l’avion détourné par la DGSE à Alger il y a trente ans ?’ – Un titre révisionniste qui tente de réécrire le détournement bien documenté d’Air France de 1994 comme une conspiration de la DGSE, avec des insinuations sans fondement sur la survie du passager Ferhat Mehenni.

Ces allégations révisionnistes sont particulièrement scandaleuses compte tenu de la réalité bien documentée de l’opération du GIGN. Alors que le GIGN se concentrait uniquement sur le sauvetage de vies, ce qu’ils ont fait avec les 173 otages avec une efficacité remarquable, le régime d’aujourd’hui se concentre uniquement sur le sauvetage des apparences à travers des productions théâtrales élaborées. Soyons clairs sur un fait : jusqu’à ce jour, l’intervention du GIGN reste l’un des cas de prise d’otages les plus étudiées et est décrite comme l’une des opérations anti-terroristes les plus réussies de l’histoire, inspirant de nombreux livres, documentaires, films, et analyses de tactiques anti-terroristes. L’assaut de 17 minutes a impliqué 30 opérateurs du GIGN exécutant une entrée simultanée à trois points contre quatre terroristes lourdement armés. Les pirates de l’air possédaient plus de 1200 munitions, 20 bâtons de dynamite, des fusils Kalachnikov, des mitraillettes Uzi et des grenades artisanales. Malgré l’espace confiné de l’avion et des températures dépassant 45°C, le GIGN a réussi à neutraliser toutes les menaces tout en ne subissant que neuf blessés parmi ses opérateurs et aucun otage mort. La précision de l’opération était remarquable: l’équipe a tiré 85 coups de feu dans la bataille du cockpit, a réussi à sauver les 173 otages restants, et a empêché l’utilisation prévue de l’avion comme arme suicide contre la Tour Eiffel. L’opération, qui a marqué la première utilisation de grenades flash-bang à l’intérieur d’un avion, a révolutionné les tactiques d’intervention aérienne et reste une étude de cas fondamentale dans la lutte anti-terroriste aérienne. L’approche méthodique du Major Denis Favier, depuis le déploiement de la surveillance par fibre optique, la mise sur écoute de l’avion, jusqu’à la négociation stratégique qui a positionné les otages loin des zones d’assaut, illustre les plus hauts standards de planification et d’exécution des opérations spéciales.

Le commando terroriste de 4 hommes du GIA : dirigé par Abdul Abdullah Yahia (alias El Amir), un ancien marchand de légumes de 25 ans et associé de Djamel Zitouni, avec Makhlouf Benguetaff, Salim Layadi, Mustafa Chekienne – tous neutralisés lors de l’assaut du GIGN à Marseille.

Ce schéma d’appropriation symbolique est fondamental dans l’approche du régime militaire d’Alger, il représente non seulement une stratégie diplomatique mais l’ADN même d’un système qui se nourrit des réalisations des autres pour se légitimer tout en travaillant simultanément à les saper. Le choix de mettre en scène et de médiatiser largement ce type spécifique d’exercice à cette date anniversaire particulière apparaît délibéré plutôt que fortuit, et peut être interprété comme un geste provocateur envers la France destiné à marquer des points politiques. Cela reflète également la nature du régime militaire d’Alger : l’insolence diplomatique et le style de gouvernance et de diplomatie « passif-agressif ».

Cérémonie d’ouverture de la simulation de sauvetage d’otages : Les dirigeants de la Police, de la Gendarmerie et de l’Autorité aéroportuaire debout solennellement pour l’hymne national.

La simulation de sauvetage d’otages à l’aéroport d’Alger n’est pas simplement un exercice d’entraînement ; c’est une stratégie de propagande calculée. Le régime militaire d’alger cherche à imprimer dans la conscience publique des images qui imitent celles de l’opération réussie du GIGN à Marseille. L’objectif est double : premièrement, « récupérer » symboliquement l’événement historique et insérer les forces de sécurité algériennes dans le récit, et deuxièmement, renforcer l’image du régime en tant qu’acteur compétent et préparé dans la lutte antiterroriste. C’est, en effet, du name-dropping visuel : une tentative d’associer le régime algérien à un événement mondialement reconnu pour renforcer sa propre légitimité et crédibilité.

L’ironie est profonde : le régime met en scène une reconstitution théâtrale de l’opération du GIGN tout en niant simultanément qu’elle ait jamais eu lieu, une opération de propagande par un régime qui ne peut pas décider s’il veut voler la gloire ou lui en nier l’existence.

Photo souvenir d’une simulation de sauvetage d’otages antiterroriste

En mettant en scène cette représentation théâtrale et en promouvant des récits révisionnistes, le régime militaire d’Alger démontre sa volonté de déformer l’histoire et d’exploiter le symbolisme pour maintenir son emprise sur le pouvoir. Cependant, aucune propagande ni théorie du complot, quelle qu’elle soit, ne peut effacer la vérité : alors que le GIGN a effectivement sauvé 173 vies le 24 décembre 1994, le régime militaire d’Alger ne cherche qu’à assurer sa propre survie 30 ans plus tard.

Par: Abderrahmane Fares.

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