Ce que le Groenland et le Danemark nous enseignent sur l’Algérie et la Kabylie

Hier, les Groenlandais ont voté lors d’élections législatives très attendues qui ont vu le parti pro-affaires Demokraatit remporter une victoire décisive avec 29,9 % des voix, dépassant le parti indépendantiste Naleraq, qui est arrivé en deuxième position avec 24,5 % des voix. Les résultats des élections ont marqué un tournant vers une approche plus graduelle de l’indépendance, le parti au pouvoir, Inuit Ataqatigiit, et son partenaire de coalition ayant subi des pertes significatives. Ces résultats font suite aux affirmations répétées du président américain Donald Trump selon lesquelles le Groenland est vital pour les intérêts de sécurité américains et à sa promesse de placer le territoire arctique sous le contrôle des États-Unis, une décision largement rejetée par les dirigeants politiques et la population du Groenland. La rhétorique de Trump a propulsé le Groenland sous les feux de la rampe géopolitique, alimentant les débats sur la souveraineté, l’autosuffisance économique et le rôle des puissances extérieures dans l’avenir de l’île.

L’approche danoise

Le Danemark, comme tout État ayant des dépendances territoriales, aurait pu considérer les aspirations à l’indépendance du Groenland comme une menace directe pour ses intérêts nationaux. Au lieu de cela, il a adopté une approche pragmatique et mesurée, reconnaissant le droit des Groenlandais à décider de leur propre avenir.

Plutôt que d’écraser le mouvement indépendantiste, Copenhague a permis au Groenland d’établir son autonomie en 1979, puis a étendu son autonomie en 2009 avec une loi qui accorde explicitement à l’île le droit de déclarer sa pleine indépendance par voie de référendum. Aujourd’hui encore, alors que le paysage politique du Groenland évolue vers une plus grande souveraineté, le Danemark n’a pas eu recours à la répression militaire ou à des manœuvres juridiques pour bloquer le processus.

La gestion du Groenland par le Danemark n’est pas la seule à avoir géré des mouvements sécessionnistes en recourant à la légitimité plutôt qu’à la force brute, d’autres pays l’ont fait auparavant, les plus récents étant les suivants :

  • Catalogne (Espagne, 2017) : Bien que le gouvernement espagnol se soit opposé à l’indépendance de la Catalogne, il a autorisé la tenue d’un référendum, même si celui-ci a été jugé inconstitutionnel par la suite. Les dirigeants catalans ont dû faire face à des conséquences juridiques, mais le différend est resté en grande partie dans les sphères judiciaire et politique.
  • Brexit (Royaume-Uni, 2016) : Le Royaume-Uni, plutôt que de rejeter l’idée de quitter l’Union européenne comme une trahison, a soumis la décision à un vote national. Le résultat, quelles que soient ses conséquences à long terme, a été respecté par l’État.
  • Écosse (Royaume-Uni, 2014, et probablement bientôt à nouveau) : Lorsque l’Écosse a voulu quitter le Royaume-Uni, Londres n’a pas envoyé de troupes, mais a autorisé la tenue d’un référendum. Le résultat a été serré, mais la légitimité du processus a assuré la stabilité politique.

La leçon est simple : un État confiant dans sa gouvernance ne craint pas l’autodétermination. Le Danemark sait que si les Groenlandais choisissent de rester, c’est parce qu’ils voient une valeur dans leur relation avec le Danemark, et non parce qu’ils ont été forcés de rester. Le Royaume-Uni, l’Espagne et même le Canada (avec le Québec) ont tous reconnu que la meilleure façon de neutraliser les griefs séparatistes est de donner aux gens le droit de choisir.

Pourquoi le régime militaire d’Alger a besoin du MAK

En revanche, la junte militaire algérienne, comme tous les régimes autoritaires fascistes peu sûrs d’eux, sait que son emprise sur le pouvoir est si fragile qu’elle ne peut permettre aucun choix réel. Qu’il s’agisse de l’autonomie de la Kabylie, des appels à la démocratie du mouvement Hirak, ou même de la simple liberté d’expression, voir même un écrivain âgé et atteint de cancer, la réponse est toujours la même : la répression.

C’est pourquoi le MAK (Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie) gagne plus que jamais en légitimité. Cette légitimité provient en partie du soutien populaire, mais aussi de son statut contesté, qui le maintient dans un état de tension permanent. En le qualifiant d’organisation terroriste – une classification que le Département d’État américain a jugée politique plutôt que fondée sur une activité terroriste réelle, déclarant que « les États-Unis considèrent que la concentration de l’Algérie sur ces groupes [ndlr, Rachad et MAK] est plus politique que liée à la sécurité, et aucun ne semble avoir commis ce que les États-Unis définissent comme des actes terroristes », le régime militaire fasciste d’Alger, à travers la stratégie de répression légale et de contre-insurrection mise en place par Chafik Mesbah depuis 2021, maintient le MAK dans un flou stratégique, ni pleinement reconnu, ni éradiqué. Et c’est précisément l’objectif : le régime ne veut pas que le MAK obtienne une pleine légitimité, mais il ne veut pas non plus que le mouvement disparaisse.

Si la junte algérienne autorisait un vote sur l’indépendance de la Kabylie, deux scénarios pourraient se produire :

  • Soit le MAK gagne, et le régime subit un rejet humiliant de la part des Kabyles -et par extension par les Algériens-,
  • Soit le MAK ne gagne pas, ce qui dissoudrait de fait le mouvement indépendantiste, et le régime n’aura plus de bouc émissaire commode pour justifier la répression.

Dans un cas comme dans l’autre, les militaires seraient perdants. Sans le MAK, il n’y aurait pas de bouc émissaire commode pour justifier la répression. Aucun spectre de séparatisme pour rallier l’appareil de sécurité brutal de l’État. Aucune excuse pour maintenir l’état d’urgence et réprimer les mouvements démocratiques plus larges.

C’est pourquoi le régime militaire fasciste d’Alger a besoin que le MAK existe, stigmatisé, craint et étiqueté comme une organisation terroriste. Cela justifie la poursuite de la répression, consolide le régime militaire et garantit que l’Algérie reste dans un état permanent de stagnation autoritaire.

Abderrahmane Fares ✍️

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