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Amira Bouraoui annonce son retour en Algérie

La militante franco-algérienne Amira Bouraoui a annoncé son intention de rentrer en Algérie dans un message publié sur les réseaux sociaux. « Je vais très bientôt rentrer en Algérie. Mon pays ❤️. Je demande à tous les lâches qui m’ont insultée et pris leurs distances me concernant de ne pas se rapprocher de mon Altesse. Les Altesses n’aiment pas les lâches« , a-t-elle écrit.


Capture d’écran de la publication de Amira Bouraoui le Lundi 30 Décembre 2024

Cette déclaration a rapidement suscité des réactions mitigées. Certains se sont félicités de son retour programmé et ont salué son courage. D’autres ont mis en garde contre les risques graves, comme l’a fait un commentateur :*
« Reste où tu es, tu vas te retrouver en prison et tu n’y gagnera rien. Sans parler des énergumènes que tu devrais gérer au quotidien après toutes la mauvaise presse que tu a eu« . Ce à quoi Bouraoui a répondu : « Je sais gérer Monsieur !« .
Une autre internaute a exprimé des craintes pour sa sécurité, notant que “j’ai peur pour vous. Jusqu’à présent ils parlent de vous à la radio, votre fuite leur est resté en travers de la gorge” Bouraoui a balayé ces inquiétudes, répondant que « ça va leur passer… c’est juste quelques lâches« .
Amira Bouraoui a exprimé son intention de se rendre d’abord sur la tombe de son père pour un hommage, à son retour et a hâte d’embrasser sa mère, qu’elle n’a pas vue depuis deux ans.
En novembre 2023, elle a été condamnée par contumace par un tribunal algérien à 10 ans de prison, suite à son évasion d’Algérie en février 2023. Cette évasion a déclenché une crise diplomatique majeure entre l’Algérie et la France : les autorités algériennes ont qualifié son départ d' »exfiltration illégale » orchestrée par la DGSE sous couverture diplomatique, ce qui a incité Alger à rappeler son ambassadeur à Paris pour « consultations ». L’annonce de Bouraoui et son retour presque 2 ans après sa fuite pourraient être considérés comme un affront direct au régime militaire algérien connu pour sa violence et ses crimes de guerre, ce qui pourrait mettre en péril sa sécurité, voir sa vie.

L’APS accuse des “réseaux subversifs à la solde de l’étranger” d’avoir orchestré l’exfiltration clandestine d’Amira Bouraoui de Tunisie vers la France, qualifiant l’affaire de ‘scandaleuse’ et portant atteinte aux règles des relations internationales.

Contexte et évasion

Dr. Bouraoui, gynécologue de 46 ans, s’est fait connaître en 2014 en s’opposant ouvertement à l’ancien président Abdelaziz Bouteflika dans le cadre du mouvement Barakat. Elle a fait l’objet de pressions judiciaires continues en Algérie et a notamment été condamnée à deux ans de prison en 2021 pour « insulte à l’islam » et « offense au président ». Après avoir été frappée d’une interdiction de voyager, elle est entrée en Tunisie le 30 janvier 2023, en utilisant le passeport algérien de sa mère.

Amira Bouraoui à sa sortie de la prison de Tipasa en juillet 2020

Le 3 février 2023, la police tunisienne de l’air et des frontières l’a appréhendée pour entrée illégale alors qu’elle tentait d’embarquer sur un vol à destination de la France. Bien qu’un juge tunisien ait initialement ordonné sa libération et lui ait rendu son passeport français le 6 février, elle aurait été enlevée par deux officiers de la police judiciaire tunisienne alors qu’elle sortait du bureau du magistrat. Détenue par la Direction générale des frontières et des étrangers, elle semblait prête à être expulsée vers l’Algérie, où elle risquait d’être immédiatement arrêtée, jusqu’à l’intervention urgente des services consulaires français. En tant que double citoyenne (elle a obtenu la nationalité française en 2008 par mariage), Mme Bouraoui s’est vu accorder la protection diplomatique. Plus tard dans la soirée du 6 février 2023, elle est montée à bord d’un vol Transavia à destination de Lyon sous escorte consulaire française, évitant de justesse un retour forcé à Alger.
Son départ pour la France in-extremis a déclenché une réaction médiatique et diplomatique de la part du régime algérien d’une rare violence. Les médias d’État du régime militaire d’alger ont affirmé que les services de renseignement français (DGSE) avaient orchestré l' »exfiltration illégale » de Bouraoui, aggravant encore une relation déjà fragile entre Alger et Paris. Ces frictions ont persisté malgré les tentatives de rapprochement suite à la visite du président français Emmanuel Macron en Algérie en 2022.
En représailles à ce que les autorités ont perçu comme un coup humiliant qu’elles « ne pouvaient ni avaler ni déloger », le gouvernement algérien a poursuivi toute personne liée de près ou de loin à l’évasion de Bouraoui. L’une des premières cibles a été Mustapha Bendjama, rédacteur en chef du journal Le Provincial à Annaba, que les autorités soupçonnaient d’avoir aidé à orchestrer son départ. Au cours des interrogatoires, le téléphone de Bendjama a été fouillé, une procédure qu’il a décrite plus tard comme torture, affirmant que les gendarmes avaient ouvert son appareil en le forçant à ouvrir sa main pour l’empreinte digitale à l’aide d’un tournevis. Les enquêteurs ont découvert des messages échangés avec Raouf Farrah, un chercheur algéro-canadien de l’Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée, au sujet d' »indicateurs financiers » -un terme académique économique- que les services de sécurité ont interprété comme des références potentielles à des « informateurs« . Bendjama et Farrah ont tous deux été arrêtés et, en octobre 2023, condamnés à huit mois de prison plus un an avec sursis. L’affaire Farrah a suscité une condamnation internationale et a jeté un éclairage supplémentaire sur la répression croissante exercée par l’Algérie à l’encontre des chercheurs, des journalistes et des activistes ayant des liens internationaux.
Ensuite en novembre 2023, le tribunal algérien a condamné Bouraoui à 10 ans de prison pour « sortie illégale du territoire » et d’autres chefs d’accusation, tandis que sa mère a été condamnée à un an de prison avec sursis. Plusieurs autres personnes accusées de l’avoir aidée, agents de la police des frontières, chauffeurs de taxi, ont également été emprisonnées.

Une répression accrue et de nouvelles vagues de répression

Le retour déclaré de M. Bouraoui intervient dans le cadre d’une escalade plus large de la répression étatique. Le régime a récemment tenté en vain d’enlever le journaliste Hichem Aboud à Barcelone, a lancé des attaques contre l’écrivain Kamel Daoud et a enlevé Boualem Sansal, que le président Abdelmadjid Tebboune a publiquement qualifié de « voleur sans identité et sans père« . Au moins 61 généraux ont été placés en détention militaire, le dernier en date étant le général Kaidi, et d’innombrables jeunes Algériens ont été arrêtés dont Mustapha Bendjama et beaucoup d’autres, pour avoir utilisé ou partagé le hashtag #Manish_Radi (« Je ne suis pas satisfait »).
Ce hashtag souligne le mécontentement généralisé face au malaise socio-économique du pays et au recul des libertés politiques. Il a pris de l’ampleur après que la chute du régime d’Assad a révélé l’implication de militaires algériens dont Mohamed Mediene et Chafik Mesbah dans les crimes de guerre syriens par le biais de fuites dans les services de renseignement. En réponse, le gouvernement a lancé une contre-campagne, #AnaM3aBladi (« Je suis avec mon pays »), enrôlant des artistes et des influenceurs pour dépeindre toute dissidence comme une conspiration étrangère orchestrée par le Maroc et Israël. Le journaliste du président Tebboune, yout, est allé jusqu’à impliquer l’universitaire israélien Edy Cohen dans la campagne, une affirmation largement rejetée comme étant sans fondement.

Capture d’écran de “Fayçal Metaoui: un sioniste derrière le hashtag de la honte” où il accuse Edy Cohen d’être l’instigateur initial du hashtag #Manish_Radi

Des partisans du régime ont même appelé à blesser physiquement les participants à #Manish_Radi ou les manifestants, alimentant les allégations selon lesquelles les autorités militaires d’Alger attisent délibérément les troubles pour justifier l’imposition de mesures de « terrorisme défensif », une stratégie qui consoliderait leur mainmise sur l’État.

Le calvaire de Boualem Sansal et les tensions franco-algériennes

Parallèlement, Boualem Sansal, l’éminent écrivain algérien naturalisé français l’année dernière, reste otage du régime militaire d’alger, alors que le président Macron suit personnellement son sort. Le maintien en détention de Sansal, malgré les négociations signalées entre Alger et Paris, met en évidence le mépris du régime algérien pour les droits fondamentaux. L’hypothèse de Bouraoui selon laquelle l’Algérie pourrait hésiter à emprisonner un autre citoyen français, étant donné le contrecoup diplomatique qu’elle a subi plus tôt, pourrait donc s’avérer être une dangereuse erreur de calcul.

La grâce présidentielle et le « dialogue » de Tebboune

Certains analystes estiment que le retour déclaré de Bouraoui pourrait coïncider avec le soi-disant programme de réconciliation du président Tebboune, décrit dans son discours du 29 décembre 2024 devant le Parlement algérien. Tebboune a annoncé des plans pour un « dialogue national profond et inclusif » afin de relever les défis intérieurs et géopolitiques de l’Algérie. Le 25 décembre 2024, son gouvernement a accordé la grâce présidentielle à 2 471 prisonniers, dont des personnes détenues pour des troubles à l’ordre public et une poignée d’éminents prisonniers d’opinion tels que la chanteuse Jamila Ben Touis, Slimane Souli, Ayoub Azaoui et Sofiane Hamedat.

Arrestation de Mustapha Bendjama
Cependant, les activistes arrêtés pour leur implication dans la campagne #Manich_Radhi, ainsi que des personnalités de premier plan comme Mira Mokhnache, une universitaire basée en Kabylie, et Mustapha Bendjama, qui a été arrêté à nouveau le 30 décembre 2024 à Annaba, ont été ostensiblement exclus. Cette application sélective de la clémence souligne les contradictions du régime : d’une part, il prétend rechercher l’unité nationale ; d’autre part, il continue d’arrêter ou de détenir des personnes anti-régime.
Notre analyse a démontré que Bouraoui, condamnée à dix ans de prison et classée comme fugitive en vertu d’un mandat d’arrêt international, est loin de répondre aux critères de la grâce, qui limite la clémence aux personnes condamnées à une peine de 24 mois ou moins pour les personnes non emprisonnées, ou à celles qui peuvent bénéficier d’une réduction de 18 mois si leur peine restante est comprise entre 18 mois et 30 ans. Les faits qui lui sont reprochés concernent une « fuite illégale » et des implications potentielles pour la sécurité de l’État, catégories généralement exclues des grâces. Elle n’a pas non plus, à priori, de motifs particuliers de clémence, tels que l’âge, la grossesse ou le fait d’avoir des enfants en bas âge.

Le contrôle militaire et le pouvoir limité de Tebboune

Les politiques incohérentes de Tebboune, qui offre des grâces d’un côté et poursuit la répression des dissidents de l’autre, illustrent ce que beaucoup décrivent comme sa position d’impuissance face à un régime militaire dominant. Les observateurs estiment que ces « signaux contradictoires » ne sont rien d’autre que l’intervention musclée des généraux lorsque cela les arrange. Les négociations pour la libération de Boualem Sansal, qui auraient été orchestrées par des émissaires français, ont échoué lorsque les militaires ont opposé leur veto, révélant ainsi que les décisions de Tebboune peuvent être annulées à volonté.
À la suite de ces événements, Tebboune a prononcé un discours chargé d’une rhétorique agressive contre la France, invoquant des griefs coloniaux non résolus, des litiges sur les déchets nucléaires et la question des crânes algériens conservés en France. Ces déclarations agressives, que l’on nous dit influencées par des directives des services de renseignement, ont deux objectifs principaux : faire échouer d’éventuelles négociations qui pourraient révéler l’incapacité d’Alger à obtenir la libération de Sansal, et obtenir de nouvelles concessions de la France, notamment l’extradition d’exilés algériens tels qu’Amir Boukhors, Hichem Aboud, Anouar Malek et Ferhat Mehenni, qui bénéficient d’une protection juridique en France, et donc leur extradition n’est pas possible.

Le président français Emmanuel Macron a déjeuné avec Abdelmadjid Tebboune à Alger le 26 août 2022 à la résidence présidentielle de Zeralda. De gauche à droite, côté français : Bernard Emié (DGSE), Sébastien Lecornu (ministre des Armées), Emmanuel Macron et Thierry Burkhard (chef d’état-major). Côté algérien : Mehenna Djebbar est assis à la gauche du président Tebboune, avec Saïd Chengriha à sa droite et Djamel Medjdoub. Lors de cette rencontre, la partie algérienne a exprimé une demande explicite pour l’extradition des opposants politiques algériens résidant en France, chose que Paris refuse.
En fin de compte, ces développements sont le signe d’une lutte entre ce que l’on appelle « l’État profond » algérien à sa tête le Général Mohamed Mediène, et l’armée dirigée par Saïd Chengriha, et les agences de renseignement françaises (DGSE/DGSI). Dans cette bataille, Tebboune semble fonctionner comme une marionnette symbolique, ses décisions étant soumises au veto d’un système qui donne la priorité à sa propre survie plutôt qu’aux réformes diplomatiques ou intérieures.

Surveillance internationale et risques potentiels à venir

Des observateurs internationaux, y compris des organisations de défense des droits de l’homme et des ambassades des États-Unis, de France, de Grande-Bretagne, de Suisse, d’Allemagne, ainsi que des représentants du Parlement européen et du Congrès américain, suivent de près la situation de Mme Bouraoui. Certains rapports affirment que le président Tebboune nourrit une rancune personnelle à l’égard de Mme Bouraoui, et qu’il aurait utilisé un langage misogyne pour la décrire comme une femme qui « échappe à son contrôle ». Compte tenu des antécédents du régime algérien, l’hypothèse selon laquelle sa seule citoyenneté française la mettrait à l’abri d’une arrestation est un mauvais calcul. Le régime, souvent décrit comme « pathologiquement tyrannique », est réputé être dirigé par huit figures militaires toutes aux antécédents de crimes de guerre, Mohamed Mediene, Saïd Chengriha, Abdelkader Haddad, Hamid Oubelaïd, Djebbar Mehenna, Mahrez Djeribi, Chafik Mesbah, et Lotfi Nezzar.
La déclaration de retour de Mme Bouraoui intervient à un moment de tension accrue. Si elle met son projet à exécution, la réponse du régime indiquera beaucoup de choses. Il reste à voir si cette réponse reflétera une véritable volonté de réconciliation nationale ou si elle réaffirme simplement la ligne dure de l’armée et l’autorité limitée de Tebboune.

Amira Bouraoui a annoncé son intention de retourner en Algérie en pleine crise liée à Boualem Sansal et au moment même de l’ouverture du dialogue national et une grâce présidentielle inhabituelle la semaine dernière. Il demeure incertain si sa décision repose sur des négociations ou des garanties dans le cadre de ce dialogue, ou si elle constitue un affront direct au régime. Son statut de citoyenne française et son défi manifeste à un régime fragilisé depuis la chute du régime d’Assad, ainsi que les fuites de sa collaboration présumée dans des crimes internationaux, et la crise de Boualem Sansal, pourraient alimenter cette hypothèse.

Par: Abderrahmane Fares

 

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